Le monde du jeu vidéo et celui du jeu de société ont toujours été très proches. Les inspirations ont été multiples dans le passé, permettant ainsi aux licences de prospérer et d’imposer leur présence à travers tous les marchés. On constate aujourd’hui une évolution du rapport entre les deux médias et, si les portages, dans un sens comme dans l’autre, ont permis ce rapprochement, la mode est maintenant à la fusion. A l’image de Trunk et Goten, l’entraînement a payé pour proposer des titres qui magnifient le genre.
Comment en est-on arrivés là ?
Avant une présentation en bonne et due forme des pépites qui arrivent dans nos ludothèques, il est intéressant de revenir sur l’évolution atypique entre les amants maudits, qui se sont successivement inspirés, sans jamais se rencontrer réellement.
L’influence du jeu de société sur le jeu vidéo
Dans les années 80, le jeu vidéo n’était pas encore ce qu’il est aujourd’hui et c’est plutôt le jeu de société qui a la côte, en étant présent dans tous les foyers (que celui qui n’a jamais eu d’exemplaires de Monopoly ou de Cluedo chez lui lève la main !). À cette époque, c’est d’ailleurs le jeu vidéo qui s’inspire de ce marché pour proposer ses premiers hits. On ne peut pas passer outre l’influence monstrueuse que représente Donjons & Dragons sur notre vision actuelle. Warren Spector, le créateur de Deus Ex en parle comme d’une muse : “Tout ce que j’ai toujours voulu faire, c’est faire ressentir aux gens un peu de ce que j’ai ressenti en jouant à D&D”, tandis que John Romero (Id Software) le voit comme un des fondements de tout jeu vidéo :“D&D sera toujours une partie de tout jeu-vidéo qui demande des calculs, de la résolution de conflit, du butin et de définir des traits de caractère. D&D parle de progression et de l’assurance que les calculs fonctionnent lors de la progression du personnage. Ces éléments-clés assurent que les joueurs restent intéressés parce qu’ils évoluent avec le jeu”. Les titres se succèdent et vont toujours un peu plus loin dans leurs propositions, donnant une inspiration que l’on retrouve encore aujourd’hui. Nous pourrions ainsi citer les cultissimes HeroQuest ou encore SpaceHulk. Mais c’est en 1991 que va arriver le premier jeu interactif.

1991, une date à retenir
1991, c’est le lancement d’Atmosfear. Pour les moins jeunes, il s’agit du premier jeu de société proposant une interaction entre les joueurs et un maître du jeu externe. Cela est rendu possible grâce à l’utilisation du magnétoscope. Personnellement, je me souviens encore de la publicité de présentation du jeu, une révolution à l’époque. Paradoxalement, si le jeu est clairement le père spirituel des œuvres actuelles qui intègrent la technologie dans l’histoire, le genre va être mis à la marge au profit d’un système plus lucratif : le portage.
Les années 2000, l’avènement du portage
À partir des années 2000, on entre dans une ère où la fusion jeu vidéo / jeu de société est plutôt… désastreuse. Les portages en tout genre vont être lancés dans les deux sens avec, disons-le clairement, un manque total de travail de fond. Il s’agit plus d’une course où les éditeurs vont mettre en place du merchandising et de la communication. Encore aujourd’hui, les portages sont assez mal vus pour les joueurs experts, notamment dans le sens jeu vidéo / jeu de société pour le manque de profondeur des titres. C’est d’ailleurs un running gag que vous pourrez retrouver de nombreuses fois sur les réseaux sociaux.
Les choses vont peu à peu évoluer grâce à différents facteurs, dont deux majeurs :
- D’abord, l’évolution des technologies. Le jeu vidéo devient de plus en plus complet, performant et les titres portés sur nos consoles vont commencer à avoir un niveau de qualité impressionnant. Les smartphones concluent le travail en proposant des applications dingues et une accessibilité exemplaire. Vous pouvez ainsi retrouver des classiques vraiment bien conçus. On pensera par exemple à Scythe ou Pandemic.
- Ensuite, la création en 2009 de la plateforme de financement participatif kickstarter. Que vient faire Kickstarter dans le débat ? Elle va tout simplement imposer une industrialisation des méthodes pour les éditeurs de jeux de société. Finis les portages sans fond : si vous voulez avoir un jeu de société reconnu, vous allez devoir le travailler en amont. Les exemples sont nombreux et on citera volontiers l’arrivée de Kingdom Rush, jeu mobile à la grande notoriété, sur plateau. Le titre aura su lever plus d’un million de dollars sur les 20 000 attendus pour Kingdom Rush Faille Temporelle.
Aujourd’hui, les jeux Marvel, Harry Potter ou encore Dark Soul proposent une offre attrayante, des mécaniques construites, travaillées et qui peuvent totalement séduire leurs publics. Mais la relation entre jeu vidéo et jeu de société ne s’arrête pas au simple portage et va aujourd’hui beaucoup plus loin.
Place à la fusion, le retour du jeu interactif
Oui, nous avons bien parlé de fusion et avec brio en plus. Depuis peu, la tendance est à un tout autre genre, le jeu de société interactif. Un jeu de société qui va être guidé par une application, de manière à sublimer le genre. On mixe donc le jeu de société, qui reste la base de l’expérience, et le jeu vidéo, qui vient ajouter une couche pour vous aider, vous guider, voire gérer toute la narration de l’histoire. Une rencontre parfaite, où l’on utilise le meilleur des deux mondes pour créer un jeu qui ne peut exister que grâce à ce système.
De quels jeux parle-t-on exactement ?
Maintenant que nous avons pu faire un rapide tour historique du rapprochement entre le jeu vidéo et le jeu de société, il faut mettre en avant les titres en étant le plus symbolique . Sans parler de tous les jeux interactifs qui mélangent les genres, voici la présentation de quelques hits qui valent le détour :

La saga des Chronicles of crime : Chronicles of crime surfe sur une double tendance : celle du jeu connecté et, en parallèle, celle du jeu d’enquête. Ici, c’est vous le détective et vous allez devoir mener une série d’enquêtes sous forme de fil rouge déroulant tout un scénario. Si le genre est assez répandu dans le jeu de société, les Chronicles of crime ont cette particularité d’utiliser une application pour suivre votre travail. À l’aide d’une technologie appelée “scan and play”, vous allez pouvoir scanner par QR codes plusieurs éléments de jeu qui vous donneront des informations directement sur l’application. Vous pourrez ainsi mener un interrogatoire, voyager entre les lieux et, le must, fouiller une pièce. L’application se transforme alors pour vous présenter directement l’endroit où vous êtes afin de pouvoir collecter et trouver des indices.
Il s’agit d’une saga de différents jeux. Chronicles of crime est composé d’un jeu de base, de 3 extensions ainsi que du “cycle millénaire”, qui est une suite de trois jeux qui se déroulent sur 1000 ans.

Detective : Le jeu Detective a été une claque ludique à sa sortie. Cette fois-ci, il mêle le genre jeu vidéo PC et série policière. Car, outre son excellente intrigue en termes de scénario, le jeu va jusqu’à proposer une vraie base de données sur internet pour pouvoir intégrer le fruit de vos recherches. Fiches des suspects, empreintes digitales, informations sur des éléments du jeu, tout y est pour que vous puissiez pousser l’expérience et l’immersion au maximum. Pas étonnant qu’il ait été élu jeu de l’année en 2019.

Destinies : Mon préféré ! Nous sortons des jeux d’enquêtes pour revenir sur le jeu de rôle façon jeu de plateau et retrouver l’influence de D&D. Destinies est un jeu où chaque joueur interprète un personnage qui va devoir mener à bien sa destinée durant le scénario. L’application vous guide et vous permet de suivre vos tours, interroger des personnes sur votre destinée, créer des interactions avec les PNJ. Pour faire simple, il s’agit de Baldur’s Gate dans une version jeu de plateau. Le gros plus c’est que les milliers d’interactions du jeu sont contrôlées par l’aspect jeu vidéo et l’application. Toute la narration est contenue dans votre téléphone, et, des dires mêmes des créateurs, il y a l’équivalent d’un livre dans le jeu. Un jeu impossible à sortir sans l’aide de la technologie.

Erune : Cocorico ! Nous ne pouvions pas parler de tous ces jeux sans citer Erune, le jeu de rôle des français d’Arkada Studio. Là aussi, l’application vous propose de gérer tout le background autour du monde d’Erune ainsi que de jouer le rôle de maître du jeu. Le jeu va jusqu’à utiliser la technologie vocale de Google pour vous proposer un conteur qui va vous raconter toute l’histoire et les périples que vous allez vivre. Erune est directement une version plus moderne et technologique de ce qu’a été HeroQuest à son époque, la technologie en plus.
Les jeux qui utilisent la technologie dans leur conception sont bien plus nombreux et nous n’allons pas tous les présenter ici. Pour autant, nous ne résistons pas à mettre en avant une catégorie un peu particulière et qui sublime l’utilisation de la technologie, à savoir… roulement de tambour : les jeux enfants ! Oui, oui, et vous pourrez retrouver quelques titres comme Kids Chronicles, un jeu d’enquête dans un univers féérique ou encore Gloutons Mignons, qui demandera aux plus petits de réaliser des associations de couleurs pour aider les monstres mignons.
Quelques acteurs spécialistes du genre
Si le genre est assez jeune et ne propose pas encore un grand nombre de jeux, certains éditeurs, comme des distributeurs, ont clairement fait le pari de le mettre en avant dès leur lancement. Côté éditeur, on ne peut pas parler du genre sans citer la team de Lucky Duck Games. Ils proposent dans leur portefeuille de jeux la moitié de ce que nous vous avons cité et sont identifiés comme les précurseurs sur le domaine. Pari risqué à la base, car le sujet divise, notamment chez les fans de jeux de société.
Côté distributeurs, Le Palais de Midgard a œuvré depuis sa création à proposer et à mettre en avant les Jeux de société à application. Outre le fait de les proposer à la vente, le site rédige des tests complets de tous ces jeux, ainsi que de nombreuses autres mises en avant sur des supports externes. Là aussi, un pari intéressant de la part d’un jeune acteur sur le marché.
Le jeu de société n’a pas fini d’être un jeu vidéo
S’il existe de nombreux jeux de société qui ont basculé du côté technico-ludique, il existe en réalité une classification entre les genres. Il y a en effet une grande différence entre jeux à application et application de jeu. Concrètement, nous pourrions les scinder en trois sous-genres. Les jeux à application compagnon sont des jeux de société qui proposent à terme des applis pour vous aider. Temps, système de comptage… En bref : des aides de jeu. Ensuite, nous pouvons trouver des applications en tant que jeu. Ici, toute la substance du jeu se retrouve à l’intérieur et le jeu physique est limité à sa plus simple expression. En dernière catégorie, il existe les applications maîtres du jeu. Principalement prévues pour les jeux de rôles, elles permettent de jouer un rôle précis et de résoudre des éléments de jeu spécifiques.
Cette catégorisation est cependant très dépendante des évolutions entre les deux médias et, comme vous l’aurez compris, elles interviennent de manière très rapide. Il est donc fort probable qu’à court terme, les cartes soient rebattues et que la famille des jeux de société flirtant avec les jeux vidéo s’élargisse considérablement, jusqu’à rendre les lignes de séparation plus floues que jamais.